Les dégénérescences lobaires frontotemporales (ou DLFT) représentent un groupe hétérogène de maladies neurodégénératives dont le point commun est d’affecter principalement la partie antérieure des lobes frontaux et temporaux du cerveau. Ces régions cérébrales sont le siège chez l’homme des fonctions de régulation du comportement social, des prises d’initiatives, de la génération et de l’analyse des émotions. Les lobes frontaux et temporaux gauches sont également très impliqués dans le langage chez les sujets droitiers et même dans une grande proportion de gauchers. Les principales conséquences de ces maladies concernent donc le comportement et le langage des patients.
Ces maladies débutent généralement entre 50 et 65 ans, mais le diagnostic est encore trop souvent posé après 65 ans car les troubles sont souvent mal reconnus ou interprétés en début de maladie. Les DLFT débutent rarement après 70 ans, ce qui en fait la seconde cause de déclin cognitif des sujets jeunes après la maladie d’Alzheimer. Elles affectent autant les hommes que les femmes.
Dans environ 40% des cas, il existe un contexte familial évocateur d’une transmission héréditaire, c’est-à-dire qu’un apparenté (parent, fratrie, etc.) a présenté des troubles similaires comportant un déclin cognitif, comportemental ou langagier. Ces formes familiales de DLFT sont généralement expliquées par la mise en évidence de mutation sur certains gènes dont les principaux sont la progranuline, la protéine Tau ou le gène C9ORF72. Une procédure de conseil génétique peut donc être proposée dans certains cas.
Les DLFT sont des maladies d’une grande complexité sur le plan de leur expression clinique mais aussi des lésions cérébrales. En effet, du point de vue microscopique, les DLFT correspondent à plus de 10 maladies différentes en lien avec un dysfonctionnement de certaines protéines neuronales comme la protéine Tau, TDP-43 ou FUS. Il est très difficile de prédire chez un malade particulier quel type de DLFT est en cause, ce qui explique qu’un diagnostic définitif ne peut être obtenu qu’après analyse du cerveau prélevé au moment du décès.
L’évolution est très variable d’un malade à l’autre, mais la précocité du diagnostic influe sur la prise en charge en prévenant certains comportements à risque.
En fonction de la présentation clinique, on décrit 3 variants différents de DLFT même si des chevauchements existent.
Le variant comportemental
Ce variant correspond à la démence frontotemporale proprement dite. Les modifications comportementales sont au premier plan, et sont souvent attribuées à tort à une maladie psychiatrique (dépression ou autre). Les principaux symptômes sont pourtant caractéristiques et comportent dans des degrés variables :
L’apathie : ce symptôme correspond au manque d’initiative ou au manque de goût pour pratiquer des activités. Le malade apparaît plus passif ou abandonne ses activités peu après les avoir débuté. Il doit être plus stimulé et il peut passer de longs moments inactif dans un fauteuil voire dans son lit.
La désinhibition : le malade adopte un comportement social inadapté, devient familier, perd les bonnes manières et ne respecte plus les convenances. Il lui arrive de faire des choses de manière irréfléchie ou impulsive, sans prendre en compte les conséquences de ses actes. Il peut ainsi tenir des propos blessants ou dépenser des sommes d’argent considérables de manière inconsidérée. Il néglige son apparence physique ou vestimentaire sans en paraître affecté.
La perte d’empathie : le malade devient incapable de lire ou d’interpréter les émotions des autres, d’imaginer leur point de vue. Il devient indifférent à ce qui l’entoure, aux évènements familiaux. Il devient peu à peu détaché ou distant de son entourage, même s’il peut persister de manière paradoxale des liens très forts vis-à-vis de certaines personnes en particulier voire même d’un animal familier.
Les stéréotypies, ritualisation du quotidien : le malade adopte des sortes de tics à type de mouvements répétitifs. Certaines activités sont pratiquées de manière rituelle, comme par exemple des promenades à heure fixe ou la pratique de certains jeux de lettres ou de chiffres. Il peut répéter certaines phrases très souvent.
Les troubles du comportement alimentaire : on observe des changements dans les goûts du malade, le malade mange plus vite, parfois jusqu’à s’étrangler en avalant. Il peut abuser de certains aliments comme les sucreries, les biscuits, et même parfois le tabac ou l’alcool.
Les préservations de certaines capacités : le malade garde en général une bonne orientation dans l’espace, il ne se perd pas dans son environnement. Sa mémoire au quotidien et ses capacités gestuelles sont généralement préservées.
L’aphasie progressive non fluente
Ce variant se caractérise par une réduction progressive du langage chez le malade. Il présente un manque du mot (phénomène du « mot sur le bout de la langue »), emploie fréquemment des mots valise comme « truc » ou « machin », a du mal à construire ses phrases et à se faire comprendre. L’évolution est progressive vers un appauvrissement du discours jusqu’au mutisme, contrastant avec une bonne préservation des autres capacités cognitives et comportementales pendant plusieurs années.
La démence sémantique
Il s’agit d’un variant rare de DLFT caractérisé par la perte du sens des mots, des connaissances générales sur les objets ou les personnes. Le malade ne comprend plus certains mots et devient perplexe devant certains objets usuels, ne sachant plus par exemple si un pamplemousse se mange avec ou sans la peau, ou comment on se sert d’un sifflet, etc. Ces difficultés s’accompagnent fréquemment de modifications du caractère à type d’égocentrisme, d’idées fixes, de familiarité avec les autres.
Le diagnostic de DLFT repose
– sur la description la plus précise possible des troubles du comportement ou du langage.
– la mise en évidence en imagerie cérébrale d’un dysfonctionnement des régions frontales et temporales du cerveau (en IRM, en scintigraphie ou en tomographie par émission de positon)
– sur une enquête génétique par prise de sang en cas de suspicion de forme héréditaire, et après obtention du consentement écrit du malade ou de son représentant.
Il n’existe malheureusement pas de traitement curatif. Cependant, certaines molécules peuvent aider à contrôler certains comportements. C’est le cas de certains antidépresseurs ou d’autres molécules comme la trazodone. La mise en place de ces traitements doit se faire dans un centre de consultation spécialisé.
La prise en charge repose beaucoup sur l’explication des symptômes, la prévention des situations à risque (sorties à l’extérieur, prévention des fausses routes alimentaires), la stimulation du malade au quotidien afin de lutter contre l’apathie et le désintérêt social. Les séances de réhabilitation cognitive à domicile par les équipes d’ESAD sont généralement appréciées. Une prise en charge orthophonique est indiquée en cas de troubles langagiers ou de troubles de déglutition.
Les essais thérapeutiques sont malheureusement rares à l’heure actuelle, mais certains espoirs sont permis dans un proche avenir, y compris pour les formes génétiques de DLFT.
Le soutien aux aidants est essentiel et repose sur les psychologues cliniciens, les associations de famille et groupes de parole. Les séjours de répits en unité cognitivo-comportementale permettent de soulager les aidants familiaux en cas de situation de crise ou d’épuisement.
Certaines modifications comportementales comme la survenue de dépenses inconsidérées doivent faire l’objet de mesure de protection juridique (sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle).